Philippe DJIAN


Echine

(Bernard Barrault Editeur - 1988)

Quand je vous dis qu'il y a des livres qui vous marquent au fer rouge, et bien en voilà la parfaite illustration : "Echine", de Philippe Djian. Non seulement ce livre m'a donné goût à la lecture, mais il a aussi totalement changé ma vision de l'écriture. 
Ici, vous ne trouverez pas de scénario incroyable, pas rebondissement toutes les deux pages, pas de super héros invincible, pas de cadavre à chaque coin de rue, pas de vibrante histoire d'amour. Non, avec "Echine" on a simplement affaire à des personnages forts et attachants dont on partage, le temps d'un roman, les existences.

Il y a Dan, le narrateur, ex-auteur à succès revenu de tout, même de l'envie d'écrire. Il y a Paul, son agent, qui veut toujours lui dégoter des contrats, quitte a ce qu'il ponde des inepties. Il y a Hermann, le fils de Dan, jeune homme en proie aux affres de l'adolescence. Il y a Sarah, sa veuve de voisine avec qui il entretien une relation ambiguë. Gladys et Richard, ses enfants. Et puis il y a aussi Elsie, maîtresse occasionnelle, véritable tigresse lorsqu'il s'agit de faire l'amour. Bernie et Harold, ses voisins homosexuels aux relations conflictuelles, ou encore Marianne, sa collègue de bureau, tour à tour hautaine et attendrissante… 
Une galerie de personnages hauts en couleurs auxquels on s'attache irrémédiablement, qu'ils soient bons ou mauvais. Car c'est là toute la force de Djian : affubler ses personnages de suffisamment d'ambivalence pour qu'on ne puisse ni tout à fait les détester, ni tout à fait les aduler. Chacun d'entre eux renferme une part d'ombre, une autre de lumière, affiche des forces et des faiblesses… Il n'y a pas d'héros parfait, pas non plus de pourri total. 
Et puis il y a cette ambiance, cette atmosphère, cette douce mélancolie qui plane en permanence au dessus de l'histoire. En fin de compte, cette tranche de vie se dévore de façon si succulente qu'on en arrive à être triste une fois la dernière page tournée. 
J'ai refermé ce roman avec la sensation d'avoir vécu durant un long moment aux côtés de ces personnages, de faire un peu partie de leur histoire, comme un témoin privilégié. Et puis voilà, d'un coup, c'était terminé. L'histoire était finie et j'aurais bien aimé qu'elle continue comme ça, presque indéfiniment. C'est une histoire qui marque, un livre qu'on n'oublie pas... Sans doute le meilleur qu'il m'ait été donné de lire. Alors un seul conseil : lisez-le !

EXTRAIT :

Le soir de mon rendez-vous avec Elsie arriva enfin. J'étais vanné mais j'enfilai tout de même mon string façon léopard qu'elle m'avait offert pour mes quarante ans. Mon estomac débordait légèrement par-dessus. Par chance, j'avais assez de poils sur le ventre pour créer l'illusion et faire passer la sanction des ans pour une ombre, du moins aimais-je à le croire, et ne racontaient-ils pas dans les journaux que les femmes trouvaient ça rassurant, je ne parle pas des poils bien sûr mais de ces quelques kilos embarrassants dont pour ma part aucun exercice ne venait à bout, aucune transpiration, d'après Max il fallait que j'arrête de boire sinon je n'arriverais à rien, ce n'était pas plus compliqué que ça. Pour sûr, c'était bien joli, mais mon corps n'était pas la chose la plus importante du monde, je n'en étais pas encore là. Je voulais bien essayer de limiter les dégâts, j'avais acheté un short et une paire de baskets, et je voulais bien faire le con quelques heures par semaine, seulement il ne fallait pas m'en demander plus que ça. L'important était que je tienne debout et que je sois en mesure de piquer un sprint aux côtés d'Hermann sans me couvrir de honte ou d'entamer une balade en montagne sans lui crier de m'attendre, sans glisser contre un arbre avec le cœur dans la bouche.
Pour ce qui était des filles, je pouvais encore me montrer à poil, et ce que j'avais perdu en beauté je l'avais gagné en expérience. Si je ne leur donnais pas la beauté du ciel, n'en étais-je pas moins rempli de patience et d'attention, n'en étais-je pas plus doux, pouvait-on me reprocher de ne pas bander honnêtement, de ne pas me creuser la cervelle ?

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